Le Mot Pour Rire, La Haine Sociale Et Le Dos Rond


Mais comment la fermer quand les cis du voisinage vous agressent à domicile ? Ou bien quand sortent des chansons qui surfent sur le bon vieux référent politique réac voire préfasciste des « minorités tyranniques », comme celle d’une artiste « politiquement incorrecte et réaliste » se faisant appeler du nom de scène de GiedRé, et qui ressemble à une foultitude d'autres ?

« Politiquement incorrect », c’est très simple, n’allez pas chercher la moindre originalité ni encore moins de réflexion critique ; ça consiste tout à l’inverse à taper sur les minorités les plus vulnérables, en agitant les ressentis pourris et incontournables, naturels quoi, des majorités qui se cherchent des amusements et des souffre-douleur. Quant à la « chanson réaliste », hélas, pareil, historiquement c’est de la chanson réactionnaire, au prétexte de la « description » de comment fonctionne le social et de ses brutalités. Même quand la chanson réaliste ne fut pas ouvertement de droite, elle était d’une gauche qui s’appuyait là encore sur les bonnes vieilles évidences, notamment une misogynie sans faille et un idéal centré sur les intérêts masculins. En gros, incorrect, réaliste, non-conformiste aussi j’en oubliais dans la panoplie, c’est format Zemmour. C’est la haine réaque, conservatrice, ressentimenteuse et décomplexée.

La chanson en question est particulièrement épouvantable. J’avoue, je n’ai pas pu faire le dos rond en lisant le texte. Ça m’a fait mal au ventre. En plus je sortais d’une nuit où les traumas de violences subies, pendant des années, de la part de personnes et dans un milieu se disant féministes et « pro-t’s », étaient brutalement ressortis. Et en buvant mon robusta je lis tout simplement le texte d’une chanson visant à faire rire populairement, mettant en scène une transse, travailleuse du sexe, évidemment étrangère, déjà (et hop la xénophobie, le racisme !) qui viole un mec (un client), et qu’on tue comme une mauvaise bête. Et comme ça tout finit pour le mieux dans le meilleur des mondes – c’est même là je pense l’important, il est dans la chute : quand on a tué une transse, avec un bon prétexte évidemment, sans prétextes on ne ferait jamais rien, eh bien on se sent mieux et la terre tourne un tantinet plus rond, l’axe graissé de nos tripes. Le soleil se lève à l’heure et on peut aller au travail la tête haute en regardant sa petite famille, son monospace et son lotissement. Eh oui. Ça fait partie d’un bagage partagé avec une joyeuse complicité entre les fachos, les mecs en général, la société cisse en encore plus général et d’aucunes qui ne se croient ni des uns ni des autres : les transses ont pour coutume de violer, c’est bien connu. Et surtout les transses sont une anomalie à exterminer. La chanson affirme qu’elle est à donf’ de testo – ce qui fait marrer quand on sait ce qu’on avale ; mais qui va sans doute beaucoup moins faire marrer nos camarades m-t’s, en tous cas s’ils ont l’honnêteté de gueuler aussi en cette occasion. Apparemment ce n’est pas le cas, grand silence encore une fois à m-tpglande quand il s’agit de saloperies au sujet de nanas transses. C’est une habitude prise. On voit en tout cas où s’arrête réellement la « communauté ».

Les transses violent donc. Ça soulage tout le monde ; on peut oublier finalement nos petits amis hétérocis et leurs frustrations. On peut aussi oublier toute tentative critique vis-à-vis de la sexualité comme norme injonction et de ses prétendus « dérapages ». La sexualité c’est la contrainte et l’abus institutionnalisés, mais on ne peut pas le dire, non plus que l’économie c’est l’exploitation, la politique c’est la domination, l’appropriation c’est l’extorsion. Ça foutrait tout le commerce en l’air. Pas question. Il faut donc une réserve d’anormalité où investir un rapport de domination déclaré déviance de la nécessairement bonne naturalité sociale. Les transses violent. Génial. On a trouvé coupable. Et dans un mode où la recherche de coupables prime de loin sur les velléités de critique et de transformation, je vous dis pas la jouissance partagée. Enfin, coupables oui, mais surtout à pas cher socialement et relationnellement. Là encore, les copains et les copines, papa et le cousin, ce serait trop dommage. Mais le monstre de service, c’est trop beau, c’est noël, coupable idéale qui ne coûte rien à personne, comme les autres déchets de la concurrence sociale.

Le mensonge est déjà, en lui-même, énorme. Les transses sont probablement parmi les plus insécurisées envers la norme de sexualité et l’initiative des rapports qui vont avec. Mais il est vrai qu’il en est beaucoup qui, même le sachant bien, n’éprouvent guère de gêne à dire le contraire, et à faire avaler leur haine transsephobe en répandant ce type de calomnies et d’appels au meurtre. Les transses violent, c’est leur spécificité, elles ne sont même transses que pour ça – manipulation qui rassemble et raccommode la droite, vieille et jeune, et les militantes qui se croient radicales à frais raisonnables d’investir leur détestation dans les plus marginalisées. Et par conséquent, il faut les tuer. J’avoue, je n’ai pas lu depuis longtemps une charge aussi nette, qui appelle si ouvertement au meurtre de masse envers nozigues. Ça n’a pas l’air d’ennuyer grand’monde, ce qui ne m’étonne guère. Déjà un type comme Orelsan, ce n’était pas très facile ni bienvenu, je me rappelle, de mettre en exergue ce qu’il promouvait comme rapports sociaux désirables. Mais là, des transses, même les qui bougeaient un peu alors restent coites et au chaud. Puisque nos représentantes autoproclamées ont été causer avec l’individue, on aurait tort de s’en faire. Ça pue. Ça pue très fort la lâcheté, la compromission, comme d’hab. Et cette tolérance à la puanteur ne sauvera personne.
 
Le fond, j’y reviens, est celui qui en période de crise permet de justifier le report de la crainte et de la haine sur les plus faibles. Il suffit de décréter qu’en réalité ces personnes et ces groupes sociaux dominent le monde, sourdement, nuitamment ; maltraitent et terrorisent les malheureuses majorités saines et désarmées, trop gentilles quoi. Ce schéma, qui exonère admirablement de toute critique politique systémique, a déjà maintes fois donné toute sa mesure.

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Parce que nous sommes une des nouvelles cibles consensuelles. Consensuelles parce que personne ne s’identifiera à nous, et donc ne nous défendra, encore moins se fera nôtre. Les réactions à cispédégouinelande à ce sujet on été éloquentes : rôh, c’est de la rigolade. On vous en souhaite de la comme ça, de la rigolade, quand elle vous talonnera dans les rues, à votre tour. On ne veut pas être transse, on ne veut pas non plus être du côté féminin du monde. Il y a presse pour être de l’autre, celui des biens nés et des biens devenus, celui de la domination celui où on croit qu’on sera épargné – mais la domination marche par élimination, même si elle fait sa pub sur l’assimilation et l’agrégation. Concours permanent, et concours suppose perdants.

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Il y a consensus contre nous, des GiedRé aux féministes prétenduement inclusivistes (sans parler des autres) en passant par la manif pour tous, lgm-tlande et la gauche qui a peur elle aussi de son ombre. Il y a consensus parce qu’il faut des biques émissaires et qu’elles ne coûtent pas cher. Et comme nous ne valons rien socialement, que personne ne tient à s’identifier à nous, que nous rassemblons au contraire dans nos personnes une bonne part de la dévalorisation possible, notamment via le féminin, et un féminin « pas naturel », dix points en moins quoi – eh bien c’est nous. Il va bien falloir que nous finissions par en tirer conséquence, parce que sinon les conséquences en finiront avec nous. Tirer les conséquences, c’est cesser de faire amies-amies.

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Texte Entier / Source : La Petite Murène